“La distance de la portée d’un tir à l’arc”:
quelques observations sur les modes de mesure du monde altaïque
37th Meeting of the PIAC, Chantilly 1994
Dans beaucoup de vieilles civilisations, lancer un objet au loin pour mesurer une distance ou une surface était une méthode couramment utilisée. On trouve par exemple l’expression “à un jet de pierre” dans l’Ilyade d’Homère et dans le Nouveau testament, ainsi que l’expression “à portée de flèche” dans les proverbes des premiers peuples slaves. Dans le monde altaïque, il existait une coutume qui consistait à utiliser la portée d’une flèche comme unité de longueur, d’òu l’expression “la distance d’un tir à l’arc”. Cet article montre, en s’appuyant sur diverses sources chinoises, sanskrites, mongoles, persanes et latines que les peuples nomades ou semi-nomades comme les peuples d’Asie centrale, les Turcs, les Tibetains, les Mongols et les Manchous pratiquaient cette coutume depuis le début de l’ère chrétienne. On trouve par exemple les expressions “à portee d’arc” ou “la longueur d’un tir à l’arc” pour exprimer la mesure d’une distance ou d’une surface chez les Turcs et les Mongols. Selon des sources chinoises et mongoles du XIIIème siècle, une bonne arbalète pouvait tirer des fleches à 300, voire 500 metres. Même si ces peuples nomades ou semi-nomades adoptèrent parfois les unités de mesure établies des Chinois sedentaires, surtout lorsqu’ils devinrent les maîtres de la Chine, l’usage de l’arc pour mesurer distance et surface persista jusqu’à l’époque moderne et eut des implications culturelles et socio-politiques significatives. Les Manchous ont apparemment suivi cet usage comme le prouvent le hutung (e’est-a-dire, quartier residentiel) de Pékin, appelé pan chien (la monitié de la capacité de portée d’un tir à l’arc), et l’expression “la distance de la portée d’un tir à l’arc” relevé dans un récit du célèbre roman du milieu de la dynastie des Qing Le rêve dans le pavillon rouge.