37th Meeting Chantilly, 1994

AVANT-PROPOS

La réunion de la «37e P.I.A.C.» à Chantilly, du 20 au 24 juin 1994, marquait le retour en France, après un long intervalle, de l’une des sessions de la Conférence permanente des études altaïques, entré celle qui s’était tenue à Alma-Ata (Almaty) et celle qui devait se tenir à Kawasaki. Le cadre des Fontaines, dans son parc, à proximité du château de Chantilly, du musée de Chaalis et de Senlis, qui fournirent des buts d’excursion, offrait un cadre commode aux retrouvailles et aux échanges qui sont un des éléments majeurs de ces réunions, avec l’habituelle revue des travaux en cours des participants dirigée comme toujours avec maestria par Denis Sinor.

Élaborer un programme susceptible de proposer, à des spécialistes de domaines aussi divers que ceux des altaïsants, des éléments de convergence pouvait apparaître comme un exercice d’école. Le thème retenu — le monde altaïque et ses contacts avec l’Ouest — permettait de réunir deux orientations : l’étude des particularités des différents domaines et celle des relations qui se sont établies au travers de l’immense espace eurasiatique et entre celui-ci et ses voisins.

Comme il est de règle parmi les altaïsants, les questions grammaticales, lexicographiques, ethnologiques et les faits de civilisation ont beaucoup retenu l’attention. Les Mandchous, les Mongols, les Turcs offraient la possibilité d’évoquer les problèmes linguistiques et la façon de les résoudre (en usant même des instruments informatiques), le vocabulaire de la magie, les jeux verbaux, la pénétration dans la poésie populaire d’éléments de la mystique musulmane… Le nom donné au chameau lui-même s’est révélé porteur de concepts révélateurs.

En remontant jusqu’aux temps préhistoriques, on a pu entrevoir un monde bien différent de celui de notre temps, quand l’autruche et l’éléphant inspiraient les peintures rupestres. Mais c’est aussi en une époque où le nomadisme ne prévalait pas encore que se serait élaboré un art altaïque appelé à se diffuser à la faveur du changement des genres de vie. L’élaboration d’un alphabet dit runique par les peuples turcs s’est révélée plus complexe qu’on ne l’a souvent admis, car il paraît l’œuvre de plusieurs foyers distincts, répartis dans l’espace eurasiatique. Les steppes ne sont pas un obstacle : les Romains ont entrevu la Chine à la faveur de relations commerciales, comme sans doute bien des siècles auparavant des influences venues de Mésopotamie se sont exercées sur la Chine.

L’époque gengiskhanide a réalisé une unité politique et une unité de civilisation. Ici on a évoqué les sources de notre information sur cet empire. Textes persans et textes latins se réunissent pour nous renseigner, et il leur arrive de s’éclairer les uns les autres. Aux conquérants, leurs voisins n’ont pas toujours donné leur vrai nom : on les a appelés Tartares en Chine comme en Europe. Mais le nom de Mongols était susceptible d’interprétations malséantes ; c’est ce qui aurait décidé les scribes ouïgours au service mongol à user d’une transcription qui est restée en usage pour désigner la dynastie timouride qui régnait sur l’Inde : Moghols. L’unité de l’empire a permis aux Occidentaux de découvrir non seulement l’Asie centrale et le Cathay, mais jusqu’à la Corée.

Sa dissociation a ouvert des possibilités à ses voisins et anciens sujets. Les Russes agissent chez les Kazakhs, les Chinois atteignent les oasis du Tarim dès le xvinc siècle. Mais l’intérêt occidental ne s’est pas affaibli. Au temps où De Guignes va écrire l’histoire des Huns et des Mongols, Montesquieu fait entrer les régimes politiques des « Tartares » dans son enquête sur les constitutions, comme De Brosses n’oubliait pas les langues altaïques dans son étude de la «formation mécanique des langues». Ce n’est toutefois qu’au xixc siècle qu’un Pjasetsky peut séjourner chez les Mongols.

Mais la P.I.A.С. a pu bénéficier de perspectives très neuves sur les temps les plus récents. Les transformations économiques, telle la rénovation de l’industrie cotonnière aux environs de 1930 par des techniciens venus d’Amérique, ont provoqué des remous. Mais c’est la dissociation de l’ancien empire russe qui a amené les peuples rendus à l’indépendance politique — le cas de la Mongolie ici est original — à rechercher les éléments de la construction d’une identité nationale. Le recours à l’épopée joue un grand rôle : ici Geser, là Gengis-khan deviennent des héros nationaux ; et il n’est pas jusqu’à l’image qu’un président de la République cherche à donner de lui-même qui n’emprunte des traits aux khans historiques ou mythiques du temps passé. Autre problème : celui de l’émigration qui conduit des Turcs jusqu’en Suède, où se pose le problème du maintien d’une personnalité culturelle.

La richesse de ces échanges n’est pas la seule à laisser aux participants un souvenir durable. Un des grands moments de la réunion a été celui où a été proclamée l’attribution à James Hamilton de la médaille d’or des études altaïques, juste reconnaissance du labeur d’un savant.

Il faut remercier de son aide la Direction des relations culturelles du ministère des Affaires étrangères. Et nous n’oublierons pas tout ce que nous devons à l’équipe du Centre d’études mongoles et sibériennes du Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative de Nanterre, renforcée de Ts. Chagdarsürüng. Sans elle, cette réunion n’aurait pas été possible et elle a su résoudre toutes les questions, jusqu’au stade de la publication, sans perdre jamais patience ni bonne humeur.

Jean Richard Président de la 37e P.I.A.C.

Le Comité d’édition remercie vivement Françoise Aubin pour ses précieuses notes et ses commentaires, ainsi que Elhanan Motzkin qui a bien voulu relire les articles des auteurs non anglophones.