Le nom du chameau dans l’aire turco-mongole
— essai d’etymologie —
37th Meeting of the PIAC, Chantilly 1994
Les formes anciennes de ce nom sont, en turc (VIIIe–XIe s.) : täbi (Tonyukuk), tävä (uygur), et, chez Kâšġarî, täwäy, täwä, tevi, et, en oguz, däwäy, däwä (moderne: dävä). Leur prototype peut être reconstruit en *täbäy, avec b spirant devenant w, puis v.
Les formes mongoles, connues à partir du XIIIe s. sont: teme’en (Histoire Secrète), temegen (mo. classique); moderne: temē(n). Leur prototype, conservé en mongol classique, est *tämägän, qui, par comparaison au turc, doit remonter à *täbägän avec *b nasalisé par -n (cf. bi “moi”, génitif minu, de *binu).
La comparaison: prototurc *täbäy / protomongol *täbägän permet de dégager un radical commun *täbä-, ce qui suggère, pour le nom du ‘chameau’ en mongol, une ancienne dérivation à partir d’un verbe qui aurait été *tebe-, avec suffixe -gen (cf. mo. ide- “manger”, classique idegen, H.S. ide’en, moderne idē(n) “nourriture”).
Un tel verbe *tebe- n’est pas attesté, mais il existe en mongol un verbe écrit tege- en mongol classique, mais transcrit te’e- dans l’Histoire Secrète et contracts en te- dans les parlers vivants, qui signifie “transporter une charge sur une bête de somme”, ce qui conviendrait bien pour une etymologie du nom du ‘chameau’.
D’autre part, on a en mongol deux exemples clairs d’un groupe ebe devenant e’e ou ege, représenté par ewe ou ē en mongol vivant :
- – classique debel ou degel, H.S. de’el, xalxa & ordos dēl, kalmuk dewl (ancien *dewel), buryat degel ‘vêtement long, touloupe’.
- – classique kebeli ou kegeli. H.S. ke’eli, xalxa xewel, ordos keweli, buryat xeli ’ventre; grossesse’; xalxa xēl, ordos kēl ‘foetus’.
On peut donc supposer qu’un ancien *tebe- est à l’origine du verbe mongol te’e- / tege- / te- , et que cet ancien *tebe-, augmenté du suffixe -gen (d’où *tebegen) est le prototype de temegen, nom mongol du ‘chameau’, qui est par excellence la bete de somme servant au transport d’une charge.
Quant au prototype turc *täbäy, il serait alors issu d’une contraction d’un plus ancien *täbä-gäy dérivé d’un verbe *täbä- disparu en turc, mais conservé en mongol sous la forme te’e-, tē- “charger une bête de somme pour un transport”.
(La série suffixale -gä /-gäy /-gän est attestée en turc et en mongol; turc täwä et mongol temē remonteraient à *täbä-gä).